mercredi 9 décembre 2009

La saison des mariages... dans la nation du mariage

Ce matin, un peu en avance, j'ai le temps d'allumer la télé quelques minutes. Sur TV5 Monde, un sujet sur le mariage arrangé en Inde. On est en plein dans la saison des mariages (de novembre-décembre à février-mars) donc c'est dans l'air du temps.

Rekha a 13 ans, elle vit dans un village, son père vend des beedies (les toutes petites cigarettes à l'eucalyptus qu'on trouve sur les étals dans la rue) et sa mère prépare des déjeuners. Rekha devait se marier, un mariage arrangé par ses parents évidemment, car malgré la dot à payer, cela représentait toujours une bouche de moins à nourrir pour sa famille. Mais elle raconte le sort de sa grande soeur qui, mariée à 11 ans, a fait 4 fausses couches. Elle ne voulait pas quitter l'école et ses amies, alors elle a refusé. Sa mère, elle l'avoue elle-même, a bien essayé de "la priver de nourriture" et de "l'empêcher de sortir". Mais Rekha n'a pas cédé et aujourd'hui, devant la caméra d'une chaîne internationale, elle essaye tant bien que mal de convaincre ses camarades de classe de suivre son exemple.

Les mentalités les plus fermées ne sont pas forcément celles qu'on croit.
Ce week-end à Goa, je discute assez longuement avec Saroja. Elle a 9 ans. La moitié de l'année, de mars à octobre, elle va à l'école chez elle, dans le Karnataka. De novembre à février, pendant la saison touristique, elle vend des colliers en bois et des bracelets en plastique sur la plage. Elle ne vend pas grand chose parce que, de toute évidence, elle préfère discuter avec les touristes. Ca lui vaut, en plus d'être la plus belle, d'être la petite fille qui parle le mieux anglais de la plage.
Saroja fait de grands yeux ronds quand je lui raconte que j'ai 21 ans et que je ne suis pas mariée. Chez elle, dans le Karnataka, les filles se marient toutes entre 14 et 16 ans. Je lui demande si elle aime l'école et elle ne répond pas, comme si de toute façon, cela n'avait aucune importance. Je lui dis qu'elle n'est pas obligée de se marier, qu'elle doit aller à l'école, étudier et qu'elle pourra se marier plus tard. Elle me répond avec un sourire en coin que bien sûr que si, elle va se marier à 14 ans, et que de toute façon elle n'aime pas l'école.
Un jeune adulte qui travaille au restaurant nous a entendues parler, il vient participer à la conversation et, comme quoi on peut être agréablement surpris, il est de mon avis. Lui aussi considère que le travail sur la plage ne devrait être que temporaire et que Saroja devrait faire de longues études. Mais le regard résigné de la petite fille nous oblige vite à changer de sujet.


Mon-ami-Ricci m'a raconté il y a plusieurs semaines, le destin tragique de sa voisine. A 21 ans, la jeune fille s'est défenestrée. La raison de son suicide est digne de Cendrillon: mariée par arrangement, un père au chômage qui ne s'occupe plus d'elle depuis bien longtemps, un mari absent qui travaille et ne se soucie pas beaucoup de sa femme, une belle-mère qui la bat et avec qui elle est, par tradition, obligée de vivre...
Le contraste avec Ricci "l'Indien-occidentalisé", qui ramène des filles chez lui et leur offre le petit-déjeuner le matin à la table familiale, en est d'autant plus frappant.

Il y a aussi l'histoire, plus rigolote, de Sonal. Sonal a deux garçons de 5 et 10 ans et depuis 10 ans, elle se bat pour continuer de travailler. Son travail la passionne et rester toute la journée à la maison à attendre son mari... très peu pour elle. Dès le premier jour de notre rencontre, elle m'a raconté qu'elle avait fait un mariage d'amour il y a 15 ans et qu'elle était fière de faire partie de cette minorité grandissante. Et puis, en creusant un peu, j'ai fini par en apprendre plus. Avant de se marier, elle avait donc entre 15 et 20 ans, elle fréquentait deux garçons. L'un était renfermé et intellectuel, l'autre extraverti et drôle. Tout le monde était au courant de la situation, les deux garçons, la famille et les amis. Cela ne génait personne puisque "fréquentation" en Inde ne veut pas exactement dire la même chose que ce qu'un occidental imagine de toute évidence. Bref, Sonal n'arrivait pas à se décider, elle aimait les deux. Elle en parle avec le sourire du bon vieux temps jusqu'aux yeux. Alors elle a demandé à sa famille de choisir pour elle.
Finalement elle a épousé le garçon introverti et fait un beau "mariage d'amour". Est-ce qu'elle est encore en contact avec l'autre garçon? Oui, ils se téléphonent de temps en temps. Est-ce qu'elle est heureuse avec son mari? Je ne lui ai pas demandé. Dans un pays où le taux de divorces est de moins de 1%, la question ne se pose pas.

Le mariage est certainement un des sujets qui nous font le plus débattre, nous occidentaux qui tentons de comprendre la culture indienne. J'ai assisté à deux mariages déjà, l'un par invitation, l'autre par incruste, et, dans les milieux riches de Bombay, ce sont des soirées qui font rêver. Les lumières, les habits, les cadeaux, les buffets, les centaines et centaines d'invités... sont souvent d'autant plus de poudre aux yeux qu'ils cachent une rencontre arrangée, surveillée et codifiée, des familles qui se sont mises d'accord plusieurs mois auparavant, des mariés qui ne se connaissent que très peu et n'ont eu d'autre choix que d'accepter. Même si on veut leur faire croire qu'ils peuvent refuser, même s'ils ont 25 ans passés et des valises de diplômes étrangers.

Ca va faire rire ma famille mais depuis que je connais le fonctionnement du mariage arrangé indien, moi l'anti-mariage par conviction, j'ai de plus en plus envie de faire un vrai mariage non-arrangé français. Ca doit être mon romantisme perdu qui refait surface.

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